Permaculture : Les époux Bourguignon, ardents défenseurs d’une agriculture sans engrais ni labours ni pesticides

Un article de La Voix du Nord, par Yannick Boucher, le 03/06/2019.

La terre est leur métier, le sol une obsession. Trente ans de combat et d’alertes pour dénoncer l’agrobusiness prédateur de la petite paysannerie française et défendre une agriculture sans engrais, sans labours, sans pesticides. « Les Bourguignon » sont cash, sans concessions, vénérés dans les milieux agroécologiques, avec le vent désormais favorable d’une pression des consommateurs en faveur d’une alimentation plus saine [1].

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Lydia et Claude Bourguignon à Lille. Photo Pib – VDNPQR

– Vos prises de positions contredisent radicalement le discours agricole dominant et vos détracteurs dénoncent votre « catastrophisme ». Ont-ils raison  ?

L.B. J’aimerais tellement avoir tort depuis toutes ces années mais oui, nous ne faisons qu’annoncer des catastrophes pour la nature, donc pour l’homme. Nous vivons à Marey-sur-Tille, un petit village situé près de Dijon. Même dans cette campagne, les gens restent dans le déni. Ils nous disent « ah mais si, regardez, on voit des oiseaux… » mais la pie grièche ou les verdiers ont disparu, comme tant d’autres espèces. Il y a 30 ans, après de fortes pluies on n’avait pas des rivières chocolat, emplies de boues ruisselées des champs voisins qui ne retiennent plus l’eau parce que leur sol n’est plus aussi vivant.

C.B. La France a perdu 90  % de sa faune du sol depuis l’après-guerre, tous ces micro-organismes et ces vers de terres indispensables à la vie. Nous avions travaillé dans la baie de Canche, elle perdait 10 tonnes de sol par an et par hectare, c’est considérable. Dans les années soixante, on recensait souvent deux tonnes de vers de terre à l’hectare, contre souvent moins d’une centaine de kilos aujourd’hui dans des parcelles agricoles traitées de manière conventionnelle. Et la situation s’aggrave.

– Les sols meurent, dites-vous. De quelle manière ?

C.B. Les sols se dégradent très vite avec les traitements chimiques à répétition. Le taux de matière organique diminue, la microfaune n’a plus rien à manger et meurt. Or c’est elle qui remonte la magnésie, la potasse ou le calcium, les éléments nutritifs du sol, donc des plantes. Le sol est composé par sa faune et par ses champignons, deux-tiers de sa microflore. Ils font l’humus (dont le taux est passé de 4 à 2  % en 30 ans) et attaquent la lignine, la molécule la plus synthétisée par les plantes. La chimie du sol se dégrade à son tour, les argiles ne sont plus attachées et c’est l’érosion, les sols partent dans les cours d’eau, puis vers la mer. C’est perdu

L.B. Oui, la matière organique est la clé du problème. Il faut remettre du compost, du bois raméal fragmenté (BRF, paillage) ou du semis direct sous couvert pour rendre les sols plus vivants, donc plus fertiles.

– Combien de temps faut-il pour restaurer la vie d’un sol  ?

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L.B. Difficile à dire. Ce sera plus rapide dans un sol argilo-calcaire comme le vôtre plutôt que dans un sol plus acide. Il n’y a pas de recette miracle pour remettre un sol debout, aucune technique universelle. Et tout dépend des types de cultures, les sols des betteraves ou des pommes de terres sont plus ravagés que ceux des céréales par exemple. Dans le meilleur des cas, ce sera entre 3 et 5 ans, beaucoup plus pour les patates.

C.B. On doit encourager la reconversion des sols conventionnels en bio mais la plupart des agriculteurs bio n’ont pas reçu leurs subventions depuis 2016. Or, on sait que le passage au bio peut faire chuter les rendements au début, forcément. Les gouvernements doivent aider à maintenir les revenus pendant cette période de transition. C’est comme avec le glyphosate. On veut interdire cet herbicide dans trois ans mais les agriculteurs ne sont pas prêts. Nous avons, nous, une solution alternative, on sait qu’on peut parfaitement se passer du produit. Avec la révolution verte il y a 40 ans, l’Europe a dépensé des milliards pour accroître les rendements avec l’agro-industrie dans les grands pays, faisant crever l’agriculture paysanne, celle des terroirs et de la polyculture élevage. On a tué les chevaux pour s’endetter avec les tracteurs, arraché les haies, asséché les marais, les zones humides, bousillé les terres. Et il y a encore des gens pour acheter des sols pourris à 20 000€ l’hectare  ! Pourquoi n’utiliserait-on pas les grands moyens pour renaturer nos sols  ?

– Qui est responsable de cette situation  ?

L.B. Au lieu d’être en adéquation biologique avec leur terroir, la plupart des agriculteurs sont dépendants des multinationales de l’agroalimentaire. Il n’y a pas de liberté de l’agriculture, c’est stupéfiant de voir comment les agriculteurs sont maintenus dans l’ignorance des produits. La grande majorité ne connaît pas la biologie du sol qui n’est pas retenue dans l’évaluation de la valeur des terres. On regardera la pente, les cailloux, les surfaces, le NPK (azote-phosphore-potassium) mais pas ce qui fait un sol naturellement vivant.

C.B. La France a perdu 90  % de ses paysans depuis 75 ans, c’est dramatique. On préfère des millions de chômeurs, c’est un choix de société, ça. On importe 75 % de nos fruits et légumes, où sont nos maraîchers  ? Si on décidait d’assurer notre autonomie alimentaire, on remettrait massivement des demandeurs d’emploi à la terre. Pour cela il faut inverser les mentalités dominantes, et d’abord rendre le savoir aux agriculteurs parce qu’ils font l’un des métiers parmi les plus complexes du monde. On ne sait plus semer, ni greffer les arbres. En pépinières on a des arbres à la vente qui ont été replantés trois fois, avec jusqu’à 40 traitements pour un pommier. Que peux devenir un arbre avec seulement 25 cm de racines  ? Dans le midi, on doit attacher des fruitiers avec des câbles pour que le mistral ne les couche pas… Il faut semer pour des arbres plus robustes et durables.

– Un changement de modèle agricole est-il possible  ?

C.B. Pas tant qu’on ne réduira pas la dépendance des agriculteurs aux rendements. Qui sont d’ailleurs un mensonge car on gave les animaux et les légumes d’eau. On achète très cher de l’eau. Celle du pain plein d’eau, de la viande pleine d’eau, des fruits pleins d’eau. Sans fertilisation, on ne fait pas une tomate d’un kilo. On dispose en France de 2 000 m² de terre agricole par an et par habitant alors qu’on en consomme 6 000 m² en Europe, 8 000 m² aux États-Unis. La France n’est que le 3e producteur agricole européen derrière l’Allemagne et l’Italie qui ont deux fois moins de terres. Le modèle allemand est hyper intensif, ils produisent beaucoup. Celui de l’Italie privilégie les petites fermes avec 10 hectares en moyenne (70 en France) mais ce modèle est menacé par l’arrivée massive des grands distributeurs. En France c’est un modèle raté. On est mauvais en intensif et on a détruit notre paysannerie. Il nous reste quoi  ? Le blé est en général de mauvaise qualité biologique, même si cela va un peu mieux. On a du cochon et de la betterave, qui ne vaut plus rien. La moitié de notre blé va aux animaux, nos tomates sont aux Chinois et on produit deux fois moins de patates qu’en Hollande. En réalité, la seule filière rentable est celle du vin parce qu’elle a abandonné la notion de rendement. On fait du vin à présent sur 25 hectares au lieu de 100 mais ce modèle n’est pas considéré ailleurs, dans les autres filières, même si j’ai une petite lueur d’espoir : des gros viennent nous voir, ils commencent à nous appeler, c’est nouveau. La plupart sont au bord de la faillite, ils roulent encore des caisses mais c’est du bluff. 20 % des agriculteurs touchent 80 % des aides européennes mais les affaires ne sont plus si florissantes.

L.B. C’est vrai mais ils veulent quoi en venant nous voir ? Encore un truc, un produit miracle pour refaire de la marge. La betterave ne vaut plus rien mais on la ramasse avec des machines qui valent 500 000 €  ! On leur dit de se déconnecter du rendement. En faisant ça, ils rendraient peut-être de la vie dans leurs sols. Et vivraient mieux…

[1] Ils étaient les invités à guichets fermés de l’association environnementale régionale EDA jeudi 23 mai à l’université de Lille.


Biographie

Claude Bourguignon, ingénieur agronome, démissionne de l’INRA à Dijon pour fonder avec sa femme Lydia en 1989 le Laboratoire d’analyse microbiologique des sols (LAMS) pour vendre des conseils agronomiques, en commençant par les viticulteurs. Conférencier, formateur, il est membre de la Société d’écologie et de la Société américaine de microbiologie.

Un livre  : « Le sol, la terre et les champs  : pour retrouver une agriculture saine », éditions Sang de la Terre (2010).


Pionnier de la permaculture

Claude Bourguignon est l’un des pionniers de la permaculture en France, et sans doute le plus influent avec Pierre Rabhi. Cet ensemble de techniques définit une agriculture de conservation des sols pour régénérer le vivant dans les parcelles. Elle condamne le labour qui détruit la micro-faune et érode les sols, les engins trop lourds qui tassent trop le sol, les apports d’engrais non naturels ou de pesticides. Le sol doit être bien aéré, enrichi en compost, non gorgé d’eau, sans excès d’éléments minéraux. C’est le principe même du bio et de l’agroécologie : un bon sol fera pousser des plantes en bonne santé et plus résistantes aux ravageurs.


L’article de La Voix du Nord est ici.

Et vous pouvez regarder cette vidéo de Claude Bourguignon.

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